Taïwan, cette petite île démocratique de 23 millions d’habitants, fait face aujourd’hui à l’un des défis géopolitiques les plus complexes du XXIe siècle. Depuis mai 2024, Lai Ching-te, médecin devenu homme d’État, dirige cette démocratie asiatique florissante tout en naviguant dans des eaux politiques particulièrement agitées.
Son élection historique en janvier 2024 avec 40% des voix a marqué un événement sans précédent : pour la première fois depuis l’instauration des élections directes en 1996, un même parti politique remporte trois mandats présidentiels consécutifs. Mais cette victoire s’accompagne d’un paradoxe majeur : le Parti démocrate progressiste (DPP) de Lai a perdu sa majorité législative, créant un gouvernement divisé qui paralyse certaines décisions cruciales.
- L’ère Tsai Ing-wen (2016-2024) : huit ans qui ont transformé l’image internationale de Taiwan
- Lai Ching-te, le président actuel : de la pauvreté à la présidence
- Les quatre piliers de paix et la vision politique de Lai
- Le système gouvernemental unique de Taiwan : les cinq Yuan
- L’évolution démocratique : de la dictature à la liberté
- Quels sont les partis politiques majeurs à Taïwan ?
- Les enjeux futurs : élections et résilience démocratique
- Conclusion : une démocratie sous pression mais résiliente
L’ère Tsai Ing-wen (2016-2024) : huit ans qui ont transformé l’image internationale de Taiwan
Première femme présidente de Taiwan (2016-2024), Tsai Ing-wen a profondément transformé la perception internationale de l’île durant ses deux mandats. Docteure en droit de la London School of Economics, cette intellectuelle discrète a incarné une résistance démocratique calme mais ferme face aux pressions chinoises croissantes.
Sa gestion exemplaire du COVID-19 en 2020, avec seulement 7 décès lors de la première année de pandémie grâce à des mesures précoces et transparentes, a propulsé Taiwan sur la scène mondiale comme modèle de gouvernance démocratique efficace. Le slogan « Taiwan Can Help » et les donations de millions de masques ont transformé l’île en symbole de solidarité internationale.

Tsai a également fait de Taiwan un phare progressiste en Asie en légalisant le mariage homosexuel en 2019, une première dans la région. Sa politique de « diplomatie des valeurs » a considérablement renforcé les liens avec les démocraties occidentales, multipliant les visites de délégations parlementaires américaines et européennes malgré les protestations chinoises. Son approche féministe du leadership, privilégiant le consensus et la modération plutôt que la confrontation, a offert un contraste saisissant avec les dirigeants autoritaires de la région.
Sous Tsai, Taiwan est passée du statut d’île isolée à celui de partenaire indispensable des démocraties mondiales, notamment dans la chaîne d’approvisionnement des semi-conducteurs. Elle a quitté ses fonctions en mai 2024, laissant à son successeur Lai Ching-te (son vice-président) un héritage de soft power considérablement renforcé.
Lai Ching-te, le président actuel : de la pauvreté à la présidence
L’histoire personnelle du président Lai Ching-te incarne le rêve taiwanais. Né le 6 octobre 1959 dans une famille de mineurs de charbon d’une pauvreté extrême, le jeune Lai a perdu son père à l’âge de deux ans seulement, suite à un accident dans les mines. Sa mère, Lao Tong-hao, s’est retrouvée seule pour élever six enfants, multipliant les petits boulots pour survivre.
Malgré ces origines modestes, Lai s’est distingué par son excellence académique. Il est devenu le premier élève de son collège à être admis dans le prestigieux lycée Chien Kuo de Taipei. Il a ensuite intégré l’Université nationale de Taiwan, où il a d’abord étudié la médecine vétérinaire avant de se réorienter vers la médecine physique et la réadaptation. Après l’obtention de son doctorat, il s’est spécialisé dans les lésions de la moelle épinière et a exercé comme médecin-chef dans plusieurs hôpitaux. En 2003, il a même obtenu une maîtrise en santé publique à l’Université Harvard.

Sa carrière politique a débuté en 1996, année où il a quitté la médecine pour se lancer dans l’arène politique, motivé par la crise du détroit de Taiwan de 1996, lorsque la Chine avait tiré des missiles près de l’île. Élu à l’Assemblée nationale puis au Yuan législatif, il s’est rapidement fait remarquer, étant nommé « meilleur législateur » quatre années consécutives. Maire de Tainan de 2010 à 2017 avec des taux d’approbation record, il est devenu Premier ministre sous la présidence de Tsai Ing-wen en 2017, puis vice-président de 2020 à 2024.
Son parcours politique impressionnant comprend également la présidence du DPP (son parti politique) depuis janvier 2023. Avec sa colistière Hsiao Bi-khim, ancienne représentante de Taiwan aux États-Unis, Lai a remporté l’élection présidentielle du 13 janvier 2024. Il a été investi le 20 mai 2024, devenant le 8e président de la République de Chine (Taïwan).
Les quatre piliers de paix et la vision politique de Lai
Le président Lai a construit sa stratégie politique autour de ce qu’il appelle les « quatre piliers de paix », une doctrine destinée à protéger la souveraineté taiwanaise face aux menaces croissantes de Pékin.
Renforcer la défense nationale
Le premier pilier consiste à renforcer la défense nationale. Son parti a maintenu l’engagement de porter le budget de défense à 2,5% du PIB, prolongé le service militaire obligatoire de 4 mois à 1 an, et mis l’accent sur des capacités de guerre asymétrique avec des missiles, des drones et des systèmes mobiles. Taiwan développe également sa propre industrie de défense.
Améliorer la sécurité économique
Le deuxième pilier vise à améliorer la sécurité économique en diversifiant les partenariats commerciaux pour réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine. La « Nouvelle politique vers le Sud » encourage les investissements dans les pays d’Asie du Sud-Est, au Japon, aux États-Unis et en Europe.
Stabilité avant tout pour les relations trans-détroit
Le troisième pilier concerne un leadership stable et fondé sur des principes dans les relations trans-détroit. Lai maintient que Taiwan est déjà un pays souverain et indépendant sous le nom de République de Chine, et que « la ROC et la RPC ne sont pas subordonnées l’une à l’autre ». Il rejette le « Consensus de 1992 » (principe d’une seule Chine avec des interprétations différentes) que Pékin exige comme condition préalable au dialogue.
Diplomatie basée sur les valeurs
Le quatrième pilier prône une diplomatie basée sur les valeurs, renforçant les liens avec les démocraties du monde entier et positionnant Taiwan comme un acteur clé de la communauté démocratique mondiale.
Sur le plan intérieur, Lai a lancé le « Projet national d’espoir », un vaste programme de réformes couvrant la garde d’enfants, les soins aux personnes âgées (Taiwan devenant une société « super-âgée » en 2025), le logement social, et la transformation de Taiwan en « île de l’intelligence artificielle ». Il souhaite également résoudre les défis structurels comme les salaires stagnants, le coût du logement inabordable, et la viabilité financière des systèmes d’assurance.

Le système gouvernemental unique de Taiwan : les cinq Yuan
Taiwan possède un système de gouvernement véritablement unique au monde, basé sur les « Trois Principes du Peuple » de Sun Yat-sen et établi par la Constitution de la République de Chine adoptée en 1947. Contrairement aux démocraties occidentales qui séparent les pouvoirs en trois branches (exécutif, législatif, judiciaire), Taiwan en compte cinq branches appelées « Yuan », ajoutant deux organes inspirés de la tradition administrative chinoise.
Le Yuan exécutif : le gouvernement au quotidien
Le Yuan exécutif fonctionne comme le cabinet gouvernemental. Il est dirigé par un Premier ministre (officiellement « Président du Yuan exécutif ») nommé directement par le président de la République, sans nécessiter l’approbation du Yuan législatif. Cette particularité distingue Taiwan de nombreux systèmes semi-présidentiels.
Le Yuan exécutif comprend 14 ministères (Intérieur, Affaires étrangères, Défense nationale, Finances, Éducation, Justice, Affaires économiques, Transports, etc.) ainsi que 9 conseils et commissions, pour un total de 31 agences. Il met en œuvre les lois et politiques, prépare le budget, et émet des ordonnances administratives.
Le Yuan législatif : le parlement monocaméral
Le Yuan législatif est l’organe législatif suprême de Taiwan, composé de 113 membres (réduit de 225 en 2005) élus pour des mandats de 4 ans. Son système électoral est fascinant dans sa complexité : 73 sièges sont élus dans des circonscriptions uninominales, 6 sièges sont réservés aux représentants autochtones (3 pour les aborigènes des plaines, 3 pour ceux des montagnes), et 34 sièges sont attribués par représentation proportionnelle nationale avec un seuil de 5%.
Chaque électeur dispose de deux bulletins de vote : un pour élire son représentant local, et un autre pour choisir un parti politique. Cette méthode, appelée vote parallèle, permet une représentation à la fois locale et nationale. De plus, au moins la moitié des sièges remportés par chaque parti à la proportionnelle doivent être occupés par des femmes, garantissant une certaine parité.
Le Yuan législatif possède des pouvoirs considérables : il vote les lois et le budget, confirme certaines nominations présidentielles (membres des Yuan judiciaire, d’examen et de contrôle), peut déclarer la guerre ou la paix, et peut même engager une procédure de destitution du président (nécessitant plus de 50% des membres pour proposer et plus de 66% pour adopter).
Le Yuan judiciaire : gardien de la Constitution
Le Yuan judiciaire représente le pouvoir judiciaire suprême. Il est dirigé par un président et un vice-président, accompagnés de 13 Grands Juges qui forment la Cour constitutionnelle. Tous sont nommés par le président de la République et confirmés par le Yuan législatif, avec des mandats de 8 ans.
Cette instance interprète la Constitution et les lois, supervise tous les tribunaux (Cour suprême, Hautes Cours, Cours de district, tribunaux administratifs), et peut juger les affaires de destitution présidentielle. L’article 80 de la Constitution garantit l’indépendance des juges, et l’article 81 leur accorde un mandat à vie, protégeant ainsi la magistrature des pressions politiques.
Le Yuan d’examen : le mérite avant tout
Le Yuan d’examen est une institution unique inspirée du système d’examens impériaux chinois vieux de 2 500 ans. Sa mission est d’assurer que tous les fonctionnaires sont recrutés sur la base du mérite plutôt que du favoritisme politique.
Le Yuan de contrôle : le chien de garde
Le Yuan de contrôle sert d’organe suprême de surveillance, inspiré du système de censeurs de la Chine traditionnelle. Ses membres sont nommés par le président et confirmés par le Yuan législatif pour des mandats de 6 ans.
Ses pouvoirs incluent la destitution de fonctionnaires gouvernementaux (sauf le président et le vice-président), la censure d’officiels dont les cas sont transmis à leurs supérieurs, l’audit du budget annuel et des dépenses gouvernementales, et la proposition de mesures correctives après enquête sur les opérations gouvernementales. Il a également créé un Comité de protection des droits de l’homme en 2000.
Comme le Yuan d’examen, le Yuan de contrôle fait l’objet de débats sur sa pertinence moderne, certains proposant de le transformer en institution centrée uniquement sur les enquêtes relatives aux droits de l’homme.
Le président : chef d’État aux pouvoirs étendus
Le président de Taiwan est élu au suffrage universel direct pour un mandat de 4 ans, renouvelable une fois. Le système de vote utilise le scrutin uninominal à un tour (le candidat ayant le plus de voix l’emporte, sans second tour nécessaire). Le président et le vice-président se présentent ensemble sur un même ticket.
Le président nomme le Premier ministre sans approbation législative, commande les forces armées, représente Taiwan dans les relations internationales, conclut des traités, et peut dissoudre le Yuan législatif si celui-ci vote une motion de censure contre le Premier ministre. Il nomme également (avec confirmation législative) les membres des Yuan judiciaire, d’examen et de contrôle.
En pratique, le système taiwanais fonctionne davantage comme un « super-présidentialisme » que comme le système semi-présidentiel français qu’il était censé imiter. Le Premier ministre sert essentiellement de chef d’état-major du président plutôt que de détenir un pouvoir indépendant. Contrairement à la France, Taiwan n’a jamais pratiqué la « cohabitation » où le président nommerait un Premier ministre de l’opposition.
L’évolution démocratique : de la dictature à la liberté
L’histoire de la démocratie taiwanaise est l’une des transitions les plus remarquables du XXe siècle. Taiwan a vécu sous la loi martiale pendant 38 ans (1949-1987), la plus longue période au monde à l’époque. Le Kuomintang (KMT), après avoir perdu la guerre civile chinoise face aux communistes en 1949, s’est replié sur Taiwan et y a établi un régime autoritaire.
La période de la Terreur blanche
Entre 1949 et 1992, la période connue sous le nom de « Terreur blanche » a vu la répression politique systématique des dissidents. Environ 140 000 Taiwanais ont été arrêtés, torturés ou emprisonnés, et entre 3 000 et 4 000 personnes ont été exécutées pour des opinions politiques supposées. L’incident du 28 février 1947, où le KMT a massacré des milliers d’intellectuels et de l’élite sociale taiwanaise, reste une blessure profonde dans la mémoire collective.
Durant cette période sombre, les partis d’opposition étaient interdits, la presse était censurée, et les membres de l’Assemblée nationale élus en 1947 en Chine continentale ont conservé leurs sièges jusqu’aux années 1990 (surnommé le « Parlement des dix mille ans »), privant les Taiwanais de toute représentation démocratique réelle.
La levée de la loi martiale en 1987
Le tournant décisif est survenu en juillet 1987, lorsque le président Chiang Ching-kuo (fils de Chiang Kai-shek) a levé la loi martiale. Ce geste historique a été motivé par plusieurs facteurs : trois décennies de croissance économique avaient créé une classe moyenne exigeant des libertés politiques, la pression internationale (notamment du Congrès américain) s’intensifiait, et des mouvements d’opposition internes gagnaient en force.
Fait remarquable, le Parti démocrate progressiste (DPP) avait été fondé illégalement en septembre 1986, mais Chiang a décidé de ne pas poursuivre ses membres, signalant sa volonté de libéralisation. La levée de la loi martiale a marqué le début d’une transformation démocratique extraordinaire.

Le Mouvement étudiant du Lys sauvage en 1990
En mars 1990, des milliers d’étudiants universitaires ont occupé le Mémorial Chiang Kai-shek (aujourd’hui Place de la Liberté) à Taipei pendant six jours dans ce qui est devenu le Mouvement du Lys sauvage. Les étudiants exigeaient la dissolution de l’Assemblée nationale non élue, des élections présidentielles directes, l’abrogation des dispositions temporaires, et des réformes politiques globales.
Le président Lee Teng-hui a rencontré les leaders étudiants le jour de son investiture et a promis des réformes dans la semaine. La plupart des demandes ont été satisfaites, accélérant considérablement les réformes démocratiques. Ce mouvement a établi un précédent pour l’activisme civique qui caractérise encore aujourd’hui la démocratie taiwanaise.
La première élection présidentielle directe en 1996
Le 23 mars 1996, Taiwan a organisé sa première élection présidentielle au suffrage universel direct, un événement historique non seulement pour Taiwan mais aussi pour toute l’histoire chinoise. Lee Teng-hui du KMT a remporté avec 54% des voix, et un taux de participation de 76%.
Cette élection s’est déroulée dans un contexte de fortes tensions. La Chine a effectué des tirs de missiles pour intimider les électeurs, les missiles atterrissant à 25-35 milles nautiques des ports taiwanais. Les États-Unis ont réagi en envoyant deux groupes aéronavals dans le détroit de Taiwan. L’intimidation chinoise s’est retournée contre Pékin, consolidant le soutien à Lee, perçu comme un leader fort. Cet événement a validé la transformation démocratique de Taiwan et a établi Lee comme « Monsieur Démocratie ».
Le premier transfert pacifique du pouvoir en 2000
En mars 2000, le candidat du DPP Chen Shui-bian a remporté la présidence avec 39,3% des voix, marquant le premier transfert pacifique du pouvoir à un parti d’opposition dans l’histoire de la ROC, mettant fin à 55 ans de règne du KMT. Cette alternance démocratique a consolidé la démocratie taiwanaise.
Plus récemment, le Mouvement étudiant du Tournesol en 2014 a été un évènement clé
Le Mouvement du Tournesol (en mars et avril 2014) a représenté un autre moment crucial. Des étudiants ont occupé le Yuan législatif pendant 24 jours pour protester contre l’adoption unilatérale par le KMT de l’Accord sur le commerce des services trans-détroit (CSSTA) avec la Chine sans examen clause par clause.
Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues, et 53,3% du public a soutenu le mouvement. Les préoccupations portaient sur le fait que la dépendance économique vis-à-vis de la Chine saperait la démocratie et la souveraineté de Taiwan. Le CSSTA n’a jamais été ratifié et ne l’est toujours pas aujourd’hui. Le mouvement a énergisé la participation politique des jeunes, accru le scepticisme envers la Chine parmi les jeunes Taiwanais, et inspiré le Mouvement des parapluies à Hong Kong.

Quels sont les partis politiques majeurs à Taïwan ?
Le système partisan taiwanais a évolué d’une domination à parti unique à une compétition bipartisane, pour devenir récemment un système tripartite.
Le Parti démocrate progressiste (DPP) : les Verts
Fondé illégalement le 28 septembre 1986 au Grand Hôtel de Taipei par 132 membres, le DPP (couleur verte) représente le centre-gauche et le nationalisme taiwanais. Né du mouvement Tangwai (« en dehors du parti ») qui s’opposait au régime autoritaire du KMT, le DPP a initialement prôné l’indépendance de Taiwan dans sa charte, mais a évolué vers une position pragmatique selon laquelle Taiwan est déjà indépendant sous le nom de République de Chine.
Positions clés du DPP :
- Taiwan est déjà un pays souverain et indépendant ; rejette le principe d’une seule Chine et le « Consensus de 1992 »
- Forte défense de l’identité taiwanaise distincte de l’identité chinoise
- Progressisme social : a par exemple légalisé le mariage homosexuel en 2019 (premier pays d’Asie)
- Recherche de liens plus étroits avec les démocraties (États-Unis, Japon, ASEAN)
- Politique de diversification économique pour réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine
Base électorale : Électeurs jeunes (moins de 40 ans), professionnels urbains éduqués, régions du sud de Taiwan (Tainan, Kaohsiung), et ceux qui s’identifient principalement comme « Taiwanais » plutôt que Chinois.
Le DPP a remporté la présidence pour la première fois en 2000 avec Chen Shui-bian, puis à nouveau en 2016 et 2020 avec Tsai Ing-wen, et en 2024 avec Lai Ching-te, réalisant l’exploit historique de trois mandats présidentiels consécutifs.
Le Kuomintang (KMT) : les Bleus
Le Kuomintang (couleur bleue), fondé en 1912, est le plus ancien parti politique de Taiwan. Dirigé par Sun Yat-sen puis par Chiang Kai-shek, le KMT a perdu la guerre civile chinoise en 1949 et s’est replié sur Taiwan où il a établi un régime autoritaire sous la loi martiale jusqu’en 1987. Responsable de la « Terreur blanche », le parti s’est néanmoins réformé sous Lee Teng-hui dans les années 1990, devenant un parti démocratique.
Positions clés du KMT (bien que ces points évoluent depuis plusieurs années) :
- Soutient le « Consensus de 1992 » (une seule Chine, interprétations différentes)
- Favorise des liens économiques plus étroits avec la Chine et le dialogue
- S’oppose à l’indépendance formelle de Taiwan
- Politique des « Trois Non » : pas d’unification, pas d’indépendance, pas d’usage de la force
- Pro-business et favorable à l’intégration économique avec la Chine pour la prospérité
Base électorale : Électeurs plus âgés (plus de 50 ans), familles militaires et employés gouvernementaux, « Continentaux » (ceux venus à Taiwan en 1949 et leurs descendants), petits entrepreneurs, métropole de Taipei, régions montagneuses centrales, côte est, îles de Kinmen et Matsu.
Le KMT a perdu la présidence en 2000 puis en 2016, 2020 et 2024, mais contrôle actuellement plus de la moitié des gouvernements locaux et détient le plus grand nombre de sièges au Yuan législatif.).
Le Parti populaire de Taiwan (TPP) : les Turquoise
Fondé en août 2019 par Ko Wen-je, ancien chirurgien et maire de Taipei, le TPP (couleur turquoise/blanc) se positionne comme une « troisième force » alternative au duopole KMT-DPP. Centré sur les questions intérieures pratiques (économie, logement abordable, salaires, coût de la vie), le TPP prétend transcender la division bleu-vert.
Positions clés du TPP :
- Neutralité proclamée sur la question chinoise ; pro-statu quo
- Pragmatisme sur la gouvernance plutôt que pureté idéologique
- Plateforme anti-corruption et transparence gouvernementale
- Focus sur les problèmes économiques quotidiens des citoyens
Base électorale : Jeunes professionnels urbains hautement éduqués, électeurs insatisfaits des deux grands partis, ceux qui privilégient les questions économiques sur la politique identitaire, concentration dans le nord de Taiwan, notamment Taipei.
Lors de l’élection présidentielle de 2024, Ko Wen-je a obtenu un remarquable 26,5% des voix, la meilleure performance d’un tiers parti dans l’histoire taiwanaise. Le TPP a remporté 8 sièges législatifs, lui donnant un rôle de « faiseur de rois » dans le parlement sans majorité.
Les enjeux futurs : élections et résilience démocratique
Taiwan fait face à deux échéances électorales cruciales qui détermineront sa trajectoire politique.
Les élections locales de novembre 2026
Les élections « neuf en un » éliront les 22 maires et magistrats et les fonctionnaires locaux, constituant un test à mi-mandat crucial pour l’administration Lai.
Les résultats détermineront l’élan vers l’élection présidentielle de 2028. Le KMT cherche à s’appuyer sur son succès aux élections de révocation de juillet 2025. Le TPP prévoit d’étendre sa portée, en nommant des candidats dans les 6 principales municipalités de Taiwan et au-delà. Le DPP a adopté une stratégie de nomination des titulaires au premier mandat et d’organisation de primaires pour les titulaires de charge au second mandat.
Les courses clés incluront les villes du nord (Taipei, New Taipei) dans des compétitions KMT-DPP, les villes du sud (Kaohsiung, Tainan) qui sont des bastions du DPP mais avec des primaires internes compétitives, et Taichung dans une course triangulaire complexe où la titulaire KMT Lu Shiow-yen pourrait chercher une coalition avec le TPP.
L’élection présidentielle et législative de 2028
Le positionnement précoce est déjà en cours. Le président Lai devrait briguer la réélection si ses performances restent viables. Les candidats potentiels du KMT incluent Chiang Wan-an (actuel maire de Taipei, petit-fils de Chiang Ching-kuo), Lu Shiow-yen (maire de Taichung issue d’une famille militaire), et Hou Yu-ih (maire de New Taipei s’il est réélu en 2026). L’avenir du TPP dépend de la situation juridique de Ko Wen-je et de la performance du parti en 2026.
Conclusion : une démocratie sous pression mais résiliente
Taiwan incarne aujourd’hui un paradoxe fascinant : une démocratie florissante sous menace existentielle constante. Avec son système gouvernemental unique à cinq Yuan, héritage de la philosophie politique de Sun Yat-sen, qui continue de fonctionner malgré les débats sur sa pertinence moderne, Taïwan continue de briller en étant l’une des plus belles démocraties d’Asie.
Taïwan possède des facteurs de résilience remarquables. Le rejet massif de l’unification avec la Chine (84% opposés au système « un pays, deux systèmes »), l’identité taiwanaise forte (63% s’identifiant uniquement comme Taiwanais), une démocratie robuste avec une société civile vibrante (Mouvement des Oiseaux bleus), des fondamentaux économiques solides avec la domination dans les semi-conducteurs, et une préparation croissante à la défense sociétale globale témoignent de la détermination taiwanaise.
Alors Taïwan, c’est surtout l’histoire de 23 millions de personnes qui ont construit une démocratie prospère contre toute attente, qui ont transformé une dictature militaire en l’une des sociétés les plus libres d’Asie, et qui sont déterminées à préserver leur mode de vie démocratique face aux menaces croissantes. L’histoire du pays continue de s’écrire, et le monde entier observe avec intérêt comment cette jeune démocratie naviguera dans les eaux turbulentes qui l’attendent.








